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Pollution lumineuse et trame noire

Articles Lab – POSTÉ LE 15 février 2022

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Image Claude Bouchon, Office Français de la Biodiversité

Interview de Romain Sordello dans le cadre des Assises Nationales de la Biodiversité du 3 novembre 2011

Romain Sordello est Coordinateur de la cellule « Revue systématiques », expert pour les Trames et Vertes et Bleues et la Pollution lumineuse au Muséum national d’Histoire Naturelle

I)  Questions générales

  • Land’Act : Comment travailler contre la pollution lumineuse à l’échelle de « petits » projets, est-ce similaire à l’idée de travailler sur des projets de plus grande ampleur ?

Romain Sordello : La Trame noire est un ensemble connecté de réservoirs de biodiversité et de corridors écologiques pour différents milieux (sous-trames), dont l’identification tient compte d’un niveau d’obscurité suffisant à la biodiversité nocturne. La Trame noire prend donc tout son sens pour des surfaces suffisamment grandes de territoire (une métropole, un parc naturel régional, un parc national, une région, etc.). A de petites échelles, par exemple celle d’un projet ou d’un quartier il parait plus efficace de prendre les choses de manière très pragmatiques, via une gestion d’éclairage la moins néfaste possible pour la biodiversité tout en partant du besoin en lumière pour les humains. Il est important de partir du besoin : y a-t-il besoin d’éclairer, à quelle heure, pour qui ? et d’ensuite identifier les différents leviers de gestion de l’éclairage abordés dans le guide Trame noire de l’Office Français de la Biodiversité.

 

  • L’A : Dans ce type de projet, y a-t-il un axe majeur sur lequel travailler en priorité contre la pollution lumineuse ?

R.S. : L’axe majeur est de travailler sur la sobriété d’éclairage en limitant l’éclairage au maximum selon les besoins. Actuellement, il existe un piège lié à l’économie d’énergie. En effet, on sait éclairer davantage en consommant moins mais en agissant comme cela, on ne se pose pas forcément la question du besoin d’éclairer. Il est donc important d’associer la sobriété d’éclairage à la sobriété énergétique.

 

  • L’A : La réglementation sur ce sujet a-t-elle évolué récemment avec la Loi Climat et Résilience ? Si oui de quelle façon ?

R.S. : Le dernier arrêté structurant date du 27 décembre 2018 et est entré en vigueur au 1er janvier 2020. Il s’applique à toutes les nouvelles installations même si quelques règles s’appliquent également aux anciennes installations (ex : interdiction d’éclairer directement la plupart des surfaces en eau). Il met en place une approche de l’éclairage par usages : A) sécurité des personnes, B) mise en valeur des bâtiments et des parcs/jardins, C) équipements sportifs de plein air et découvrables, D) vitrines et bureaux, E) parkings, F) évènementiels, G) chantier. Il fixe ainsi des seuils de quantité de lumière ou de température de couleur à ne pas dépasser ainsi que des horaires d’allumage ou d’extinction de lumière selon l’usage. Mais ces règles restent très souples pour certaines catégories d’usage, par exemple dans le cas de la mise en valeur, où il reste possible d’éclairer un arbre en violet en contre plongée dans un parc urbain du moment que cet éclairage est coupé à 1h du matin. En revanche, pour des éclairages fonctionnels (déplacement/sécurité des personnes), il y a plus de cadrage et il faut par exemple ne pas éclairer avec un blanc trop froid.

Pour rappel, l’arrêté stipule par exemple :

  • Interdiction d’émission directe de lumière vers le ciel (seuils 1% et 4% pour les catégories d’éclairage A et E)
  • Seuils de température à respecter : 3 000 K pour les catégories d’éclairage A, D et E. Aussi, dans certains sites astronomiques d’importance nationale et dans certaines zones protégées le seuil est plus strict.
  • Respect de plages horaires selon les catégories d’éclairage (notamment les parkings, bâtiments non résidentiels, vitrines de magasins, parcs et jardins accessibles au public).
  • Interdiction d’éclairer directement les cours d’eau, le domaine public fluvial, les plans d’eau, lacs, étangs et le domaine public maritime (pour toutes les catégories et quelle que soit la date d’installation) sauf pour des cas de prescriptions du code du travail (manutention portuaire ou sécurité pour des zones de circulation et de stationnement en bordure de plans d’eau).

Dans la Loi Climat et Résilience, la réglementation sur la publicité lumineuse reste en suspens.

 

  • Peut-on nuancer l’éclairage de la lumière d’ambiance (exemple : Typha d’iGuzzini) ?

RS : Avec la nouvelle réglementation, il faut être en capacité de dire à quoi sert chaque point lumineux, à quelle catégorie d’usage il se rattache. La notion de lumière d’ambiance est donc assez floue, elle ne se rattache pas réellement à une catégorie d’éclairage et doit donc être désormais précisée systématiquement. A noter que même les petites veilleuses dans le jardin ont un impact négatif sur la biodiversité avec un effet piège sur les coléoptères qui démarre dès 1 Lux. Il n’y a donc pas de petites économies. Même si on a l’impression que la lumière est faible et bien dirigée, il y a toujours un impact et elle est source de piège pour les insectes.

 

II) Questions sur le végétal

  • L’A : Quel est l’impact de la pollution lumineuse sur le cycle biologique des végétaux ?
    Floraison prématurée, montée de sève prématurée etc. ? A quel point cette donnée est-elle à prendre dans nos choix de palette végétale en milieu contraint par cette pollution lumineuse ?

R.S. : Quasiment toutes les étapes du cycle de vie du végétal sont touchées par la pollution lumineuse. Pour les espèces passant la saison froide à l’état de tubercule, la mise en réserve est déclenchée par le fait que la durée du jour est de plus en plus courte. Il en va de même pour la tombée des feuilles (entrée dans l’hiver) ou à l’inverse l’ouverture des bourgeons (arrivée du printemps). De nombreuses étapes clés dans le cycle végétal sont ainsi dictées par l’alternance jour/nuit qui varie au cours de l’année et de la saison sous nos latitudes.

De plus, certaines longueurs d’onde jouent un rôle particulier car les plantes ont des récepteurs de lumière sensibles à certaines longueurs d’onde. En effet, selon la couleur émise, on peut favoriser la fructification, la floraison, ou la formation de racine. Cela est bien connu en horticulture depuis des décennies.

 

  • L’A : Y a-t-il des espèces végétales moins sensibles à la pollution lumineuse ?

R.S. : Au sein des végétaux, je ne pense pas car la lumière est l’un des signaux les mieux captés, ne serait-ce que par la photosynthèse, probablement plus que d’autres (bruit, etc.). La lumière est un synchronisateur des horloges biologiques, y compris végétales, permettant de mettre un individu en cohérence avec son environnement (alternance jour/nuit).

 

  • L’A : Existe-t-il un type de matériel qui ne déstabilise pas le cycle biologique des végétaux ?

R.S. : La question importante concerne plutôt la longueur d’onde que le matériel employé. C’est en fonction du spectre et des couleurs qu’il y aura dans la lumière, et probablement des quantités de lumière ainsi que des horaires.

 

  • L’A : Quels sont les spectres lumineux, température etc. à privilégier dans les aménagements paysagers, pour que cela soit confortable pour les usagers ainsi que pour toute la biodiversité ? Ou il n’existe pas de spectre lumineux « magique » et le spectre est à adapter suivant les espèces que l’on veut « privilégier » ?

R.S. : La préconisation est plutôt d’avoir un spectre étroit et donc d’éviter la lumière blanche (diffusant toutes les couleurs) qui impactera de nombreuses espèces puisque différentes couleurs vont impacter différentes espèces. En l’état des connaissances et pour la biodiversité, les couleurs les moins impactantes sont le jaune et l’orange. Il faut ainsi privilégier une couleur de température plutôt basse si c’est blanc (« blanc chaud » tirant vers le jaune-orange).

La réglementation fixe une limite de 3 000 K pour les catégories A (éclairage des déplacements) et E (parkings). Certaines collectivités vont déjà au-delà avec des LED blanches à 2700K voire des LED vraiment ambrées (1900K-2200K). Au niveau du confort humain, cela a un impact puisqu’on perd le contraste des couleurs et cela devient donc plus difficile à concilier avec les attentes. Actuellement, abaisser la température de couleur est également synonyme d’une perte d’efficacité énergétique (car la lumière bleue, froide, est davantage filtrée).

 

III)   Questions en lien avec le projet

  • L’A : Les bornes sur détecteur de présence, horloge, etc. sont-ils des artefacts adaptés et utiles pour la biodiversité ? Si oui, quel est le meilleur choix pour perturber le moins possible la biodiversité ?

R.S. : Ces dispositifs sont intéressants pour réduire l’éclairage dans le temps, par exemple lorsqu’il y a un usager. Par contre, il ne faut pas en faire une règle générale. En effet, certaines petites communes/hameaux font de l’extinction en cœur de nuit et c’est suffisant. Il n’y a pas besoin d’installer des détecteurs de présence dans des lieux où il n’y a pas grand monde. En revanche, en ville, cela permet de réduire la pollution lumineuse dans le temps tout en ayant un éclairage installé. Cependant, dans une zone très fréquentée, du ON/OFF permanent (provoqué par le détecteur de présence) peut potentiellement avoir un impact sur la biodiversité avec les clignotements. C’est pourquoi il ne faut pas faire de ces dispositifs une règle générale même si leur utilité est importante. De plus, il arrive que ces détecteurs soient mal réglés et se déclenchent au passage d’animaux voire sous l’effet du vent faisant bouger la végétation.

 

  • L’A : Dans le cadre des projets de promotion immobilière, de nombreux labels interviennent (BiodiverCity, HQE, etc.), des artefacts de biodiversité sont donc souvent proposés par les MOE pour répondre à ces labels. Par exemple, nous proposons des nichoirs à oiseaux,
    hôtels à insectes, etc. Pour que nos propositions soient efficaces, existe-t-il un moyen de ‘calculer’ la zone de ‘noir idéal’ à maintenir autours de ces aménagements suivant l’agrès proposé ?

R.S. : Il existe peu de travaux de recherche traitant des distances. Des chercheurs du Muséum national d’Histoire naturelle ont travaillé sur les chauves-souris et ont montré qu’il y avait un impact sur ces animaux jusqu’à 50 mètres autour d’un point lumineux (tout en précisant la quantité de lumière). De manière plus générale, on parle de puissance et de quantité de lumière plutôt que de distance dans les publications. Tout cela est donc relatif, la distance varie avec la quantité de lumière (une lumière qui éclaire à 5 lux n’aura pas la même distance d’impact qu’une autre qui éclaire à 100 lux).

  • L’A : Quel est votre avis sur les spots qui éclairent les houppiers de l’arbre ? Sont-ils acceptables s’ils sont moins puissants ?

R.S. : Ils sont très néfastes. Actuellement (automne), on peut remarquer que les arbres qui ont un lampadaire à leur hauteur ont leurs feuilles qui ne sont pas encore tombées. Souvent c’est localisé au niveau du lampadaire alors que le reste du houppier n’a déjà plus de feuilles, la lumière retarde donc leur tombée. Ainsi, ces sources qui éclairent l’arbre retardent/décalent le cycle du végétal et ont un impact sur ses dépenses énergétiques.

Une solution serait déjà d’installer des mats plus bas, sous les houppiers, pour essayer de diminuer l’impact.

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