Philippe Thébaud, 1946-2021

Un engagement militant

« Je bats la campagne et la ville depuis plus de quarante ans : apprécier la qualité et l’authenticité des paysages est ma passion au jour le jour ; partager cette expérience est le moteur de mon action. Si mes réflexions et les travaux menés avec mon équipe ont pu aider à prendre conscience que la valeur d’un territoire, quel qu’il soit, se partage, alors tant mieux. La tâche n’était pas aisée, qu’importe, nous nous devions d’essayer.
Le paysage est l’image d’une société qui s’impose dans un territoire, qu’elle le maîtrise de façon durable ou qu’elle le dégrade goulûment pour en jouir immédiatement. Toute société évoluée a le paysage qu’elle mérite !

« Vibrations chromatiques », Pastel, Philippe Thébaud

Il va de soi que lorsque votre métier est celui « d’architecte du paysage », la situation se complique quelque peu. Très vite, vous vous sentez responsable et avez du mal à vous taire. Il ne s’agit plus de concevoir l’intégration de boîtes pour habiter, de routes pour se déplacer, de construire des hôpitaux, des écoles, des stations d’épuration, mais d’assurer l’interface entre un territoire et ses besoins. Certes, ces besoins sont exponentiels. Pourtant, nous en sommes tous dépositaires, et j’espère que nos propositions permettront aux jeunes générations de disposer d’un potentiel qu’elles pourront transmettre à leurs enfants. C’est l’engagement de notre métier.

Nos projets sont l’expression de notre façon de partager et de participer à la construction d’un monde durable pour tous. Et si ce que mon équipe réalise au jour le jour, avec toutes les contraintes de production, permet d’apporter notre contribution à l’édification d’un cadre de vie qui respecte la nature et l’individu, nous aurons fait ces premiers pas, devenu vitaux, vers un Paysage Partagé. » – Philippe Thébaud, 2003.

Un parcours exemplaire

Sorti major de la promotion de 1968 de l’École Supérieure d’Architecture des Jardins et des Paysages (ESAJ) de Paris, Philippe Thébaud a commencé sa carrière au sein du ministère de l’Équipement aux politiques de la prise en compte du paysage dans le projet urbain, avant d’entreprendre divers séjours Outre-Mer avec l’Atelier d’Urbanisme Antilles Guyane. Il crée son agence libérale en 1972 puis une structure originale TUP en 1986 avec laquelle il réalise de très nombreux projets en France, mais aussi un peu partout dans le monde.

Pour tout projet, son éthique le pousse à observer, écouter, comprendre et traduire pour que le concept s’inscrive dans une logique de « Paysage Partagé » en harmonie avec les éléments dans lequel il vient s’inscrire. Son expérience s’exerce aussi bien en France métropolitaine, dans les départements et territoires d’Outre-Mer qu’à l’étranger en étant un des premiers paysagistes français à exercer à l’international sur des projets majeurs : Chine, Moyen-Orient, Europe de l’Est, Afrique, Caraïbes, … avec une connaissance poussée de ces territoires après plus de 50 ans passé à les arpenter.

Projet d’aménagement des berges du Yong à Nanning, Chine

Désireux que le métier de paysagiste ne soit pas enfermé par une logique d’échelle, il porte sa réflexion sur des projets de toute taille allant de patios jardins (comme ceux de l’Unesco) à de grands territoires comme celui du quartier d’affaires de la Défense dont il est lauréat du concours d’urbanité en 2008. Loin de se limiter à l’agencement du végétal, son sens artistique s’est également épanoui dans la conception lumière et l’innovation afin de mêler pastel et pixel dans un monde en transition numérique.

Aux côtés d’Alain Provost, il a contribué, dans les années 1980, à la naissance et à la montée en puissance de la Fédération Française du Paysage, dont il a assuré la vice-présidence, une organisation devenue depuis l’interlocuteur incontournable du ministère de la Transition écologique, dans sa politique paysagère. Premier président de la confédération des métiers du paysage en 1995, Philippe Thébaud a apporté sa pierre à la structuration de l’interprofession, renforcée plus tard par la création de l’association Val’hor.

Il a également représenté l’Etat en faisant partie du Corps des Paysagistes Conseils de l’Etat pour le compte de la région Rhône-Alpes. Le versant encyclopédique et culturel de son engagement s’est exprimé dans une production éditoriale foisonnante, au sein du Conservatoire des Jardins et Paysages dont il était président ou en collaboration avec ses équipes et ses associés, dans une relation Partagée pendant près d’un demi-siècle dans l’œuvre vivante de Land’Act.

Croquis étude d’urbanité quartier d’affaire de La Défense (Lauréat 2007)

Soirée de Lancement Land’Act en 2015 (Benjamin Thébaud, Eric Manfrino, Philippe Thébaud)

2015 : une transmission dans la continuité

C’est à l’occasion d’une rencontre en 2013 organisée par Jean-Pierre Moreau (alors Directeur Commercial de Pinson Paysage, et père de Dominique Moreau un des associés de Land’Act), qu’Eric Manfrino et Philippe Thébaud se sont rencontrés.

Le partage de valeurs communes se révélant très fluide, le « courant » est très vite passé, et le projet de rapprochement des agences TUP (fondée par Philippe Thébaud en 1986) et TRAITVERT (fondée par Eric Manfrino en 1992) s’est engagé avec pour l’un l’objectif d’une transmission dans la continuité, et pour l’autre le souhait de compléter les talents, les expertises et les périmètres de projets.

Après deux années à construire et à consolider ce projet notamment avec son fils Benjamin Thébaud qui avait pris la direction de TUP depuis 2011, l’agence LAND’ACT a été créée en 2015, et les deux agences ont fusionné au sein de cette nouvelle enseigne et se sont réunies dans les grands locaux de Levallois.

Un dernier hommage et un héritage

Le 8 décembre 2021, soit quelques semaines après sa disparation (survenue le 2 novembre 2021), toute l’agence s’est réunie pour commémorer la mémoire de Philippe Thébaud et lui rendre un dernier hommage.

A cette occasion, Monsieur le Maire de Courbevoie (territoire où Philippe Thébaud a beaucoup œuvré) a planté avec la famille Thébaud un févier d’Amérique (Gledistia triacanthos), un de ses arbres préférés, au sein du Parc du Bécon.

Le projet de réaménagement avait fait l’objet d’un concours remporté par l’agence en 2018, ce succès ayant été un des derniers portés directement par Philippe Thébaud.

Plaque scellée au pied du Gleditsia dans le Parc de Bécon

Agence réunie au complet ce jour-là